Pour que l’Histoire ne se répète pas

 

Texte du discours prononcé par Bernard Leycuras, vice-président de MARCHE De VIE-FRANCE

le 9 juillet 2017 à la Gare de Déportation de Bobigny

 

Elle portait tatoué sur son bras le matricule 78.651, témoignage de l’ignominie quand l’être humain est traitée par ses semblables comme une bête destinée à la boucherie.

Elle pensait à la Shoah tous les jours de sa vie, depuis qu’elle était sortie rescapée des camps de la mort à 18 ans.

 

Et elle disait sa conviction que le jour de sa mort elle penserait à la Shoah.

Elle nous a quittés le 30 juin, la veille du shabbat, pour entrer dans son grand jour de repos.

 

Si elle était et reste une grande figure de la Shoah, médiatisée par ses engagements politiques et moraux, Simone Veil  nous interpelle encore par son visage où le sourire était rare car, comme cela a été dit lors de sa réception à l’Académie française, « On ne sort pas de la Shoah le sourire aux lèvres ».

                                            

Nous sommes ici aujourd’hui pour faire mémoire de la faute injustifiée et injustifiable, et de la honte, mais aussi pour réfléchir au pardon – humainement inconcevable -, à l’espérance et à la vie par-dessus tout, autant de marqueurs de la culture juive.

 

Nous venons de marcher sous la bannière  » Pour que l’histoire ne se répète pas! « 

 

Cependant l’histoire avance, et la société intègre plus ou moins les leçons du passé.

 

La question est : une nouvelle Shoah, semblable à celle dont la mémoire nous réunit ici, est-elle encore possible?

 

Je crois que non, pas sous cette forme.

Sous une autre forme très différente mais tout aussi horrible: oui, je le crois.

Car c’est ce dont l’histoire témoigne.

 

Or si les formes se renouvellent ainsi pour habiller le même poison, c’est que nous avons à traiter le fond.

Ce fond est un vaste sujet, mais je vous dois de l’esquisser ICI, justement en CE  lieu, pour témoigner de la vérité, seul chemin  -étroit-  pour ne pas cheminer dans les ténèbres mais pour conquérir un espoir sûr et demeurer dans la vie.

 

Souvenez-vous: en 1996, le président français Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans les rafles et les déportations de Juifs, dénonçant « l’irréparable ».

Ce fut un soulagement pour beaucoup de Français Juifs et non-Juifs aspirant à la justice; mais pas pour tous: Simone Veil par exemple préférait porter ses regards sur les Justes de France qui sauvèrent beaucoup des siens. Et c’est juste aussi. Et cette réalité historique nous réjouit, nous rassure…un peu !

 

Mais voilà le fond du problème: lors de ce discours historique, le président souligna avec force que « La France n’est pas antisémite ».

 

Antisémite, pas antisémite? Il est évident que cette question taraude la conscience de qui veut bien se pencher sur l’histoire de notre pays. L’avenir en dépend. Notre avenir, avec nos concitoyens Juifs.

La réponse n’est pas simple, mais si nous ne regardons pas l’histoire en face, nous resterons prisonniers d’un refus de se questionner, donc de notre histoire, méconnue… qui se répétera.

 

L’amour que je porte à mon pays m’oblige à lui parler le langage de la vérité. Et cela me coûte.

 

 

Mais qu’est-ce donc qui est méconnu, voire inconnu, cachée sous la chape de silence, protectrice?… Mortelle!

 

Car, si avec Simone Veil je me réjouis comme vous que des Juifs ont échappé aux camps d’extermination, la question est de comprendre pourquoi tant ont péri.

 

Je voudrais donc amener à la lumière de nos consciences 3 points parmi d’autres, parfois étonnamment minorés, ou soigneusement enfouis :

 

  • 1- la France a organisée la spoliation, la persécution et l’extermination des Juifs au bénéfice de la shoah: OUI, mais -hélas-  c’est une vielle histoire française qui a débuté au 6ème siècle de notre ère. Par 12 fois au cours de l’histoire de France avant la Shoah, et sous des dirigeants très différents, notre pays s’est comporté avec la plus grande tromperie et méchanceté envers les Juifs.

3 exemples:

– dès 533, les conversions forcées commenceront sous Childebert 1er, petit-fils de Clovis; résister, c’était subir les pires souffrances.

– du XIIème au XIVème siècle, de  Philippe Auguste à Charles VI dit le Bien Aimé, les conversions forcées s’intensifièrent et les historiens parlent du 1er Holocauste. La France organisera des arrestations de masse le jour du Sabbat dans les synagogues, puis la libération des prisonniers contre la confiscation de tous les biens, puis leurs expulsions… une fois pillés. Cela au gré des besoins du Trésor de France…

-rappelons que c’est en France sous le roi Saint-Louis, que les Juifs devront porter une marque en tissu jaune sur la poitrine et vivre dans des ghettos. Et cela avec un zèle qui n’existera pas ailleurs.

Et bien entendu les ravages de la peste noire étaient attribués aux Juifs, déjà perçus comme les ennemis de la France.

 

  • 2- ce zèle s’est déployé avec force pour la Shoah, au point que les autorités allemandes étaient surprises, étonnées car elles ne le voyaient pas ailleurs… une fois de plus.

OUI, la politique antisémite menée en France dès l’été 1940 était due au seul gouvernement de Vichy, sans pressions directes allemandes. La législation de Vichy facilita même le projet d’extermination nazi lorsque les déportations à Auschwitz commencèrent en 1942.

 

Oui les Nazis gardent leur pleine responsabilité dans la Shoah, mais, comme par le passé sous  d’autres autorités, les autorités de Vichy ont légiféré et mis en œuvre les lois anti-juives, avec promptitude;  et grâce à une obéissance diligente et sans faille de l’administration française, les rafles et les internements fonctionnèrent comme une machine bien huilée. Ils purent aussi compter sur les délations et la collaboration (et pire peut-être encore, l’indifférence) d’une grande partie de la population.

 

 

  • 3 – l’envoi des enfants Juifs -du bébé à l’adolescent- dans les camps de la mort fut une initiative purement française, à laquelle les Nazis ont dû s’adapter: qui peut comprendre cela? Ainsi 4000 enfants seront déportés fin aout 42.

 

Ainsi c’est tout un peuple que nous avons à consoler, nous Français particulièrement, car nous l’avons poursuivi de notre méchanceté non seulement lors de la Shoah, mais pendant 14 siècles!

 

Je relève pour finir 2 exemples,  parmi beaucoup d’autres, qui nous disent que décidemment non, « ce n’est pas du passé » à présent, décidemment non « ce n’est pas fini » maintenant!

 

– le 1er je l’emprunte à Simone Veil. À son retour des camps de la mort, elle souhaite parler de son expérience, être une voix pour les victimes qui ne sont pas revenues et celles qui ne peuvent pas raconter. Mais elle se heurte à un refus. Je la cite: «Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher… Nous souhaitions parler mais on ne voulait pas nous écouter», et de rajouter: «Nous n’étions que des victimes honteuses, des animaux tatoués. Il nous fallait donc vivre avec ça»;

 

– le second, rapporté dans un quotidien lors de l’hommage très récent à Simone Veil.   Une jeune femme raconte: « Quand j’étais au collège, avec ma classe, nous avons visité les camps de concentration en Allemagne. J’étais bouleversée! En voyant mon émotion, mon professeur m’a demandé pourquoi je pleurais alors que je n’étais même pas juive »... !

Elle conclut en affirmant qu’il  y a encore des incompréhensions, et que cela doit cesser!

 

 

Le 5 juillet dernier, le Président de la République a dit que Simone Veil avait vu «la face la plus hideuse» de l’humanité.

Ajoutons que beaucoup de Juifs ont vu et subi la face la plus hideuse de la France.

 

La facilité serait de dire « ce n’est pas nous, mais les autres, des méchants, des anormaux peut-être ».

Mais ils avaient mon visage et votre visage, des gens ordinaires ou « bien sous tous rapports ».

 

Ils ont collaboré ou bien se sont tu; d’autres ont fait « ce qu’on leur ordonnait » avec une application qui donne le vertige; d’autres encore ont saisi l’aubaine d’habiter du jour au lendemain dans un appartement plus confortable, subitement libéré par une rafle opportune: il y avait juste à enlever les draps encore chauds.

 

Et commençait alors  la longue litanie inaudible des secrets de famille bien gardés, inviolables et inviolés… à de très rares exceptions… exceptionnelles!

 

Et c’est bien cela qui doit changer « Pour que l’histoire ne se répète pas« , pour qu’un peuple tout entier vive la pleine dignité que donne la juste Justice rendue; et pour que beaucoup de coupables  et leurs descendants  vivent la pleine liberté retrouvée après l’aveu et le pardon donné… si possible, en son temps.

 

Alors devant vous réunis ici en ce lieu où se déroula l’innommable dans un quotidien froidement organisé, j’appelle la fin des secrets de famille honteux afin que la vérité vienne à la lumière car c’est sa place, sa seule place. J’appelle des témoignages de vérité, et des demandes de pardon, pour un passage décisif de l’ombre à la lumière!

 

Que se délient les langues collées au palais de la honte et de  l’interdit, non pour « remuer le passé » avec un plaisir malsain, mais pour qu’il soit vidé de sa substance qui empoisonne le présent, et que soit mis à nu la face hideuse de notre nation, pour lui dire définitivement NON, ENFIN!, et marcher ensemble dans la guérison, dans la reconquête d’une identité forgée dans la justice et la responsabilité individuelle et collective, pour bâtir sur le roc de la vérité, la source de la vie, la seule qui vaille.

 

Alors que se lèvent des hommes et des femmes de courage en terre de France, dans une humilité et une audace qui ont un coût mais qui seront la plus grande des  forces libératrices, pour eux-mêmes et pour beaucoup!